Tu sais que… Adieu (Arnaud des Pallières, 2003)
-Quand tu as du mal à expliquer en quoi tu trouves cela incroyable, que les mots te manquent tout simplement. Quand tu ne peux pas organiser ce que tu penses, intellectualiser ce que tu ressens. Bref que pour en parler tu n’as trouvé que cette pauvre mise en page.
-Quand tu peux regarder un camion rouler au ralentit dans une usine à travers la chaine d’assemblage et trouver cela hypnotisant, magique. Et que cela peut durer sans que cela ne te lasse le moins du monde. Que tu ne pensais pas que voir rouler des camions sur des routes seraient aussi beau, aussi angoissant, aussi mystérieux. Que peut être c’est un des plus beaux plans que tu ais jamais vu.
-Lorsque que toi qui n’aimes pas la musique au cinéma. Ou si peu, car trop évidente, trop blindée d’affect, trop présente ou alors transparente, cache misère. Et bien là tu l’entends, tu l’écoutes. Comme une voix de dialogue et qu’elle t’enivre de plaisir.
-Quand les cadres osés (personnages franchement coupés bord cadre) te semblent pertinent, beau. Quand les images sont belles et ce inconditionnellement. Et quand le naturalisme du réalisateur pousse à tourner sans éclairage -hors ceux du décor- et que les noirs deviennent bruités, moirés et moches au possible et que l’on s’en moque.
Qu’on se dit qu’en fait ce n’est qu’un détail. Quand c’est beau c’est bien et lorsque c’est moins beau et bien ce n’est tout simplement pas important.
-Quand des cadres et des visages littéralement sculptés par la lumière restent durablement gravés dans la mémoire.
-Quand un panoramique bas-haut sur la robe d’un curé gonflée par le vent te fascine au plus haut point. Que tu es ému par la perception d’un pantalon sous une soutane.
– Quand tu as l’impression de voir vraiment, réellement comme tu n’avais pas vu avant. Quand tu en en reviens à te demander si tu avais déjà vu comme cela avant.
-Quand tu n’as pas besoin de ressentir une émotion intense (chair de poule, pleurs) pour être bouleversé au plus profond de toi par ce que tu vois.
-Quand tu te rends compte encore une fois que le travail du temps est l’enjeu véritable du cinéma. Que lorsque c’est bien fait, le temps n’existe plus et une véritable vision des choses apparait.
– Quand non, définitivement non, on n’est pas aigri en trouvant que 70% des films que l’on voit manquent d’intérêt. Non ces films sont tout simplement sans intérêt.
-Lorsque des partis pris te semblent franchement excessif, trop appuyés, presque ratés (les fils flous aux chevets du père quand il ne les voit plus) tu n’arrives pas à les rejeter. Puis, tu t’y habitues, tu les adoptes et enfin tu es conquis. Tu te dis que c’était le choix évident. Que ce flou est si travaillé qu’il donne une autre façon de voir, comme des ombres. Et que ces ombres tu ne les avais jamais vu.
Quand, en fait, tu n’imagines même pas comment on pourrait faire autrement. Que des scènes pareilles dans d’autres films sont inregardables après cela.
-Quand tu n’avais jamais vu une mort aussi douce à l’écran. Peut être même dans toute autre forme de représentation artistique.
-Quand tu trouves que le bruit d’un avion à réaction sur un enterrement est sans doute le meilleur habillage sonore que l’on puisse trouver.
-Quand tu es persuadé que les raccords de remplissage pour éviter les trous entre les répliques c’est en fait d’un ridicule achevé. Et que oui on devrait, si on était courageux –spectateurs et auteurs- accepter le raccord sec. Que cela ne met d’une façon si belle le texte, les hésitations des personnages. Alors oui, il faut des beaux dialogues. Et long.
Quand tu découvres cette évidence.
-Quand tu ne comprends l’ensemble des enjeux du film, qu’il semble te manquer des éléments de compréhension mais que cela ne gêne en rien ton plaisir. Que tu sais que tu le reverras, que des rapprochements se feront. Quand un film est un puzzle et que tu aimes être perdu face à toute les pièces qui le composent.
-Quand une fois le film fini, tu as envie de le regarder de nouveau pour comprendre, réécouter les sons, les voix, le silence, comme le passage d’un poème que l’on aime. Que tu n’as pas envie de le faire tout de suite. Que tu as envie de vivre avec ces voix, ces images, ces silences. Que bien évidemment le film est en toi, t’accompagnes presque en permanence.
Et que tu voudrais que cela dure indéfiniment.
-Quand les remarques évidentes, de bon gout, de professionnels autour de toi (même ceux qui sont infiniment respectables), qui pensent que certaines choses aux cinéma sont infaisables, irréalisables, impossibles, sont balayés par les idées et les partis pris du film. Et que tu voies une piste pour tes propres expérimentations.
Quand voir toute une narration en voix off devient un soulagement émotionnel et intellectuel.
-Quand tu voudrais que tout le monde aime ce film mais qu’en même temps tu veux le garder pour toi, comme un secret. Qu’au fond de toi tu te dis que les autres ne le méritent pas. Que c’est un trésor destiné pour toi, seulement. Et quelques autres. Tes semblables.
Alors, oui tu te dis que tu as vu un film important pour toi.
[…] Plus de 6 mois. Fan inconditionnel de son avant-dernier film (Adieu, que j’avais évoqué ici) j’étais très excité, réellement curieux devant ce nouveau film. Arnaud des Pallières […]